top of page

Un pays en voie de guérison

Jeudi soir, de manière complètement inopinée, nous avons été avec mes collocs voir une comédie musicale qui rend hommage à District Six. District Six, c’était un quartier populaire très métissé, situé en plein centre de Cape Town. Il était réputé pour la paix multiraciale, multiculturelle et multi-religieuse qui y régnait en plein Apartheid. Fondé par les premiers esclaves affranchis du Cap, il abritait aussi artisans, ouvriers, commerçants et immigrants de tous pays, dans une ambiance bohème, musicale et festive. C’était en quelque sorte un peu le Montmartre de Cape Town. C’était le repère des activistes politiques, mais aussi un territoire régi par des gangs.


​En 1966, le gouvernement déclara le quartier ‘’zone blanche’’. Un quartier où cohabitent paisiblement des gens de races différentes est une verrue dans le pied d’un système tel que l’Apartheid. Les gens furent expulsés de chez eux, relogés de force dans les townships en périphérie de la ville, dans ces grandes plaines poussiéreuses et balayées par les vents. Jusqu’en 1982, c’est plus de 60 000 personnes qui furent chassées de chez elles. Au fil des années, le quartier fut entièrement rasé par les bulldozers. A la place, ils construisirent un quartier réservé aux Blancs. Mais toute la zone n’a pas été entièrement reconstruite et, aujourd’hui encore, de vastes espaces de terrain vague subsistent volontairement en plein centre de la ville, en mémoire et en hommage aux anciens habitants du quartier.

District Six aujourd'hui

District Six n’est pas un cas isolé. D’autres quartiers sont tristement célèbres pour les mêmes raisons en Afrique du Sud.


Vingt ans après la fin de l’Apartheid, les blessures causées par plus de trois siècles de domination blanche sont loin d’être guéries. Les jeunes sud-africains qui ont vingt ans aujourd’hui sont les premiers à grandir sous un régime non racial. Tous mes collègues, qu’ils soient Blancs, Noirs ou Métisses, ont grandi avec l’Apartheid. Ils ont une quarantaine d’années, ils avaient donc 20 ans quand le régime a été aboli. C’est étrange et choquant de prendre conscience que mes collègues noirs et métisses n’étaient pas libres il y a tout juste plus de 20 ans de ça.


Ils vivaient dans un système où les Blancs avaient leurs infrastructures et leurs zones réservées, et où les Noirs et Métisses avaient le reste, c’est à dire peu. La mise en place de l’Apartheid passa par la relocalisation de millions de personnes : 80% de la population du pays fut parquée sur un espace équivalent à 8% du territoire sud-africain. Les non-Blancs devaient avoir en permanence sur eux un passeport intérieur qui consignait leur vie, contraignait leurs déplacements et les empêchait d’aller chercher du travail ailleurs.


Bien sûr, il y avait des opposants au régime, tout comme nous avions nos résistants pendant la seconde guerre mondiale. Mais la majorité des Blancs, tout comme chez nous, se contentait de subir le système avec indifférence, parce que ‘’c’était comme ça’’.


Et aujourd’hui, certains Blancs vous déclareront que ‘’On était plus tranquille sous l’Apartheid, au moins on n’avait pas de cambriolages dans les maisons’’. Un Noir de son côté vous assénera que ‘’L’Apartheid, ce n’est pas fini, c’est toujours pareil encore aujourd’hui.’’ Quelqu’un à l’usine m’a confié qu’il avait passé trois ans en prison, pour ne pas avoir respecté les principes de l’Apartheid. Ça fait un sacré drôle d’effet quand la personne avec qui vous discutez vous propulse tout à coup dans une réalité de vie aussi brutalement différente. Et il ne doit certainement pas être un cas isolé dans l’usine.


Le gouvernement essaie de changer les mentalités. Il y a une énorme politique de discrimination positive, extrêmement contraignante pour l’ensemble des acteurs économiques et sociétaux, qui prend la forme d’un audit que toute entreprise doit passer tous les ans. A la radio, très fréquemment, des spots gouvernementaux sont diffusés appelant à la lutte contre le racisme et rappelant l’importance, pour être ‘’un vrai Sud-Africain’’, de l’écoute des idées de l’autre et de l’ouverture d’esprit.


Au pays arc-en-ciel, le chemin est encore long avant que les couleurs ne forment un tout harmonieux et profondément pacifié.


© 2023 par SUR LA ROUTE. Créé avec Wix.com

bottom of page