Depuis le début des années 2000, une politique de discrimination positive extrêmement lourde et rigoureuse a été mise en place, afin de réparer les dégâts causés par l’Apartheid : le BBBEE – Broad-Based Black Economic Empowerment. On peut traduire ça par ‘’Autonomisation économique globale des Noirs (et des métisses)’’. En réalité c’est plus qu’une politique : c’est une loi. L’objectif du BBBEE, c’est de rééquilibrer les différences socio-économiques entre Blancs et non-Blancs: en gros, promouvoir l’accès de tous ceux qui ont été privés de nombreux droits pendant l’Apartheid aux diplômes universitaires, aux emplois cadres et managériaux, à la formation continue, au développement des compétences.
Afin d’être sûr que les entreprises appliquent le BBBEE et que les choses avancent, toute entreprise de plus de 650 000 € de chiffre d’affaires doit chaque année passer un audit de conformité à l’issue duquel est délivré un ‘’BBBEE certificate’’ : en fonction du nombre de points obtenus à l’audit, le certificat confère un statut de conformité plus ou moins élevé. L’obtention de ce certificat est très importante : les entreprises qui ne sont pas BBBEE-compliant s’exposent à des amendes extrêmement élevées, pouvant aller jusqu’à 10% du chiffre d’affaires annuel.
Six champs d’action sont évalués dans le cadre de cet audit, chacun ayant une pondération dans le barème global :
1. La possession des fonds propres de l’entreprise par des non-Blancs (20%)
2. L’occupation des postes de managers par des non-Blancs (10%)
3. L’application de quotas raciaux reflétant la démographie locale (15%)
4. Le développement des compétences des non-Blancs (15%)
5. Le recours à des fournisseurs eux-mêmes certifiés BBBEE-compliant (35%)
6. Le soutien de l’entreprise au développement socio-économique des communautés locales (5%)
Le BBBEE est très lourd à gérer pour les entreprises (puisqu’il faut absolument tout documenter pour les audits) et a de graves implications. Prenez Faurecia : comme c’est une entreprise française, elle n’est pas possédée par des Sud-africains (sans même parler de Sud-africains non-Blancs), donc pour tout audit Faurecia part déjà avec un handicap de 20 points.
L’application de quotas raciaux est un concept hallucinant que je vis au quotidien dans les recrutements que je gère : chaque année chaque entreprise doit construire un plan où elle identifie quels postes seront occupés par telle race, afin qu’au global les pourcentages de représentativité de chaque race correspondent à la démographie locale : par exemple, dans la province du Cap occidental où se situe Cape Town, il y a 50% de Coloured, 33% de Noirs, 15% de Blancs, 2% d’Indiens/Asiatiques ; au KwaZulu-Natal (la province ou se situe Durban, sur la côte est), il y a 87% de Noirs, 7% d’Indiens/Asiatiques, 4% de Blancs, 1% de Coloured. Mon entreprise à Cape Town ne doit donc pas employer les mêmes proportions d’employés de chaque race que mon entreprise à Durban. Chez Faurecia, comme on est mauvais en BBBEE car rien n’avait jusqu’à présent vraiment été fait, l’objectif principal est d’éviter autant que possible d’embaucher des Blancs, le top du top étant de trouver une femme noire, car c’est là qu’on marque le plus de points.
Quand je brieffe les agences de recrutement avec lesquelles je travaille, je dois leur dire de m’envoyer en priorité des CV de non-Blancs ; mon cerveau formaté droit-du-travail-français crie intérieurement à la discrimination à chaque fois, mais c’est comme ça que ça marche ici… Résultat, si vous avez le malheur d’être Blanc et d’être un homme, il est très difficile de trouver du travail, car à compétences égales les entreprises donneront toujours la priorité au candidat non-Blanc. Du coup, il y a aujourd’hui un exode massif des hommes blancs qui partent à l’étranger puisqu’ils ne se voient aucun avenir professionnel dans leur pays.
Le coup des fournisseurs est aussi bien vicieux : pour être sûr que les entreprises appliquent le système, la plus grande part des points (35%) dépend du niveau de BBBEE-compliance des fournisseurs avec lesquels vous travaillez. Système d’interdépendance qui fait que si vous n’avez pas un niveau de BBBEE-compliance suffisamment élevé, vous perdrez des clients ou des marchés, puisqu’en étant non-compliant vous faites aussi perdre des points à vos clients…
Le BBBEE est un sujet très complexe, le système de notation est extrêmement compliqué, à tel point que les entreprises doivent faire appel à des consultants spécialisés pour développer leur stratégie BBBEE et être assurées de marquer les bons points. C’est aussi une loi très controversée en Afrique du Sud. Ses détracteurs dénoncent un apartheid inversé. De nombreuses dérives ont lieu, beaucoup d’entreprises fraudent, en nommant par exemple des Noirs à des postes fantoches de management juste pour obtenir les points BBBEE : ces employés ne font en fait rien car ils n’ont pas les compétences, et le vrai responsable est Blanc… Le BBBEE n'est pas près de s'arrêter. Le concept est hallucinant, mais je pense personnellement que cela est nécessaire pour un temps dans une démarche de rééducation des mentalités.