Chaque année, vers début février, le président sud-africain s'adresse aux deux chambres du Parlement réunies pour faire le bilan sur l'année écoulée, dresser le programme de l'année à venir, et lancer la nouvelle année parlementaire. C'est ce qu'ils appellent le ''State of the Nation Address''.
Un discours très attendu chaque année, et cette année encore plus car la cote d'impopularité de Zuma, le président de l'Afrique du Sud, atteint des abysses sans précédent. Jamais il n'a été aussi contesté, et ce même au sein de son propre parti. Il est empêtré dans de nombreux scandales, affaires de corruption et de traffic d'influence... Le State of the Nation Address s'est tenu le 9 février à Cape Town.
Zuma est tellement impopulaire que tout le centre-ville a été fermé à la circulation, de même que l'autoroute reliant les banlieues sud (là où je travaille) au centre-ville de Cape Town (là où j'habite). 400 militaires ont été déployés autour du Parlement pour prévenir tout débordement. J'ai dû partir plus tôt du boulot pour pouvoir rentrer chez moi avant que tout ne soit bloqué. J'ai complètement halluciné: tous les 300m le long de l'autoroute, des voitures de police étaient stationnées le long de la bande d'arrêt d'urgence. Il y avait des chars de l'armée, et des policiers piétons un peu partout sur les bas-côtés qui se promenaient au milieu de nulle part (on reste en Afrique...).
Mais le plus croustillant reste à venir.
La session parlementaire s'est ouverte en fin de journée. Les 25 députés de l'EFF, un parti d'extrême gauche (en français ''les Combattants pour la liberté économique''), ont fait une entrée très...africaine dans l'hémicycle. Regardez la première vidéo sur cette page.
Par la suite, alors que Zuma s'apprêtait à prendre la parole, les députés de l'EFF ont tout fait pour l'empêcher de commencer son discours. Ils l'invectivaient violemment, le qualifiant de ''délinquant constitutionnel'', de ''hors-la-loi'' et refusant de le laisser s'exprimer car il n'était ''plus digne d'être président''. Cela a duré près d'une heure. La présidente de la chambre a fini par demander à l'EFF de quitter l'hémicycle, ce qu'ils ont catégoriquement refusé de faire. En désespoir de cause, la Sécurité est intervenue...
La scène est consternante, voyez par vous même : des députés qui se battent avec la Sécurité, comme de vulgaires manifestants évacués par la police! Bien sûr tous les députés sud-africains ne sont certainement pas comme ça, mais c'est là que l'on se rend compte du chemin qu'il reste à parcourir en Afrique du Sud en termes de maturité politique et d'éducation. Car ces députés noirs de l'EFF ont tous grandi avec l'apartheid, ont à peine été à l'école, parlent un anglais parfois bancal et, reconnaissons-le, n'ont vraiment pas la prestance et l'éloquence de nos députés français !
Une fois le calme un peu revenu et l'EFF dehors, c'est le DA (Democratic Alliance), un autre parti de l'opposition, cette fois au centre de l'échiquier politique, qui a décidé de quitter l'hémicycle en signe de protestation. En fin de compte, Zuma a fini par faire son discours...devant les députés de son parti ! Quel belle mise en pratique de démocratie...
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Mais alors, s'il est si impopulaire, pourquoi Zuma s'accroche-t-il au pouvoir?
Après un premier mandat, Zuma a été réélu en 2014 à la tête du pays. Il est censé être au pouvoir encore jusqu'en 2019, date à laquelle il devra partir car il aura été au bout des deux mandats de 5 ans autorisés par la Constitution.
Ce qu'il se passe, c'est qu'en Afrique du Sud, le président de la République est élu via les élections législatives : le parti qui remporte le plus de sièges à l'Assemblée gagne les élections et le président de ce parti devient le chef de l'Etat. Même si l'ANC (le parti de Zuma) ne veut plus de lui à la tête du pays, ils veulent rester au pouvoir donc ne font rien pour pousser Zuma à partir.
De son côté, Zuma n'a aucun intérêt à démissionner : son réseau et ses contacts le protègent actuellement de tous les scandales dans lesquels il est impliqué (vive la corruption), mais le jour où il ne sera plus chef de l'Etat, il aura du mal à ne pas finir en prison.
Toutefois, en décembre prochain, les choses risquent de bouger, car des élections auront lieu au sein de l'ANC pour élire le nouveau président de parti : si Zuma ne gagne pas, il n'aura pas d'autre choix que de démissionner et c'est le nouveau président de l'ANC qui deviendra chef de l'Etat. Affaire à suivre...