Chaque culture a ses mauvais esprits et ses guérisseurs traditionnels, perçus dans chaque société avec plus ou moins de circonspection. En Occident, médecine alternative et ‘’guérisseurs’’ dérangent et inquiètent. Dans les cultures africaines, sorciers et guérisseurs traditionnels ont encore aujourd’hui une place très importante dans le quotidien des gens.
En Afrique du Sud, on les appelle sangomas (littéralement ‘’docteur-sorcier’’). Pour de très nombreux Sud-africains noirs, le sangoma est la première personne à consulter en cas de problème. Leur champ d’action va des soucis de santé (par exemple un taux de cholestérol trop élevé) aux problèmes d’infertilité en passant par la résolution des conflits, l’infidélité de son partenaire ou un chagrin d’amour. La ‘’médecine’’ des sangomas se basent sur les muti, (prononcer [mooti], littéralement ‘’médicaments’’) à base de plantes, de poudres d’animaux morts et des objets fétiches aux propriétés magiques. C’est très sérieux : les sangomas sont reconnus comme professionnels de santé en Afrique du Sud, ils peuvent délivrer certificats médicaux et arrêts de travail, au même titre qu’un médecin généraliste.
Les sangomas sont malgré tout controversés. Certains se contentent de soigner les soucis de santé des gens avec des remèdes à base de plantes. Mais d’autre sont de véritables charlatans qui extorquent l’argent de pauvres gens un peu trop naïfs. D’autres encore relèvent clairement de la sorcellerie et de la criminalité, aidant leurs clients à obtenir vengeance, tricherie et manipulation en jetant des sorts aux victimes désignées. D’autres mélangent un peu les trois… On trouve parmi les sangomas à peu près tous les degrés de charlatanisme et de sorcellerie autour de ces trois dimensions.
On distingue deux types de muti : les ‘’bons muti’’ et les ‘’mauvais muti’’ : les ‘’bons muti’’ sont destinés à guérir d’une maladie ou d’un mal ; les ‘’mauvais muti’’ consistent à jeter un mauvais sort à quelqu’un, entraînant maladie, mort ou possession. Avec les ‘’mauvais muti’’, on tombe vite dans des histoires sordides et assez flippantes… Assassinats perpétrés pour récupérer des organes humains pour en faire des poudres et médicaments (ce qu’on appelle les ‘’muti killlings’’), des gens qui dirigent un muti contre quelqu’un de qui ils souhaitent se venger, entraînant la mort de cette personne dans des circonstances troubles et sinistres. En gros, la personne va voir le sangoma, lui ‘’achète un mauvais sort’’, et le muti va faire passer le sort sur la personne visée.
J’avais longuement discuté de ce sujet avec un collègue xhosa il y a quelques temps. Il m’avait expliqué que lorsqu’il serrait la main de ses collègues à l’usine, il pouvait sentir les énergies et les mauvaises intentions de certaines personnes. Cela lui est déjà arrivé que quelqu’un lui transmette un muti en lui serrant la main. Lorsque cela arrive, il sent son bras tout à coup tout engourdi et douloureux. Apparamment, c’est la raison pour laquelle les rastafari ne disent bonjour qu’en tendant le poing, pas la paume : car de cette facon, le muti / mauvais esprit / mauvaises ondes ne peuvent pas être transmises. Et de toute façon dans un univers de production, la plupart des gens se ''serrent la main'' de cette façon, puisque ils ont tous les mains sales pleines de graisse de machines.