C'est l'histoire d'une fille qui emporte ses valises à l'autre bout du monde pour la troisième fois. Et en quelques fractions de secondes, l'aventure touche déjà à sa fin. Et c'est de nouveau la même impression aigre-douce d'un beau livre dont on referme à regret la quatrième de couverture, avec nostalgie mais de beaux souvenirs plein la tête et le cœur. Après être devenue chinoise, me voilà désormais aussi un peu sud-africaine pour le reste de ma vie.
Alors que je boucle mes valises, tournent dans ma tête toutes ces petites choses du quotidien qui étaient devenues complètement normales et évidentes, et qui me manqueront d'ici quelques jours :
les hurlements stridents des ibis, des oies et des pintades qui te réveillent impitoyablement à 4h du matin lorsque le jour se lève ;
le grotesque des ribambelles de pintades qui se courent après en file indienne sur les routes, leur étrange démarche donnant l’impression qu’elles flottent à quelques centimètres au-dessus du sol ;
le réflexe de se rabattre à 100 km/h sur la bande d'arrêt d'urgence à gauche pour se laisser dépasser par la voiture de derrière ;
remercier avec tes warnings quand la voiture devant toi s’est rabattue sur la bande d’arrêt d’urgence pour te laisser la doubler ;
la possibilité de doubler par la droite, ou bien par la gauche, au choix en fonction de la situation ;
entendre les gens parler xhosa et zoulou, ces langues aux claquements de langue si singuliers ;
la simplicité des rapports humains, où tu appelles tout le monde par son prénom, que ce soit tes candidats en entretien ou lorsque tu appelles pour prendre un rdv de médecin : c’est complètement normal que la secrétaire t'appelle par ton prénom ;
les expressions locales que tu entends dix fois par jour et que tu t’es mise malgré toi à utiliser : ‘’chap chap’’ (=‘’ok cool’’ en zoulou), ‘’lekker man’’ (littéralement ‘’cool, mec’’ en afrikaans, mais qui s’emploie pour dire ‘’c’est génial’’, ‘’c’est super’’) ;
dire ‘’non’’ en n’émettant qu’un vague bruit de gorge ‘’hein-hein’’ ;
t’exclamer spontanément ’’yoh’’ (‘’oulah !’’) ou ‘’shame’’ (‘’oh dommage’’) et voir tout le monde autour de toi exploser de rire, parce que ça leur fait tout drôle que tu utilises une expression typiquement locale ;
les pick-ups qui roulent avec 10 personnes entassées dehors à l’arrière ; ou bien les poids lourds qui roulent les battants arrières grand ouverts, et tu t’aperçois qu’il y a des gens allongés à l’intérieur, moyen de transport commun des ouvriers qui se rendent sur leur chantier ;
voir des antilopes, des babouins et des autruches pendant tes randonnées dans la montagne ;
te faire appeler par les Blacks ‘’sisi’’ (=’’petite sœur’’, équivalent de ‘’mademoiselle’’) ou ‘’mama’’ (équivalent de ‘’madame’’, employé pour marquer le respect que l’on porte à ton âge ou à ton statut);
voir ton prénom mal orthographié dans tous les mails et mal prononcé à longueur de journée, mais en fait adorer que ton prénom soit constamment écorché : je crois que me faire appeler Camy, Kami, Cammie, Kamili, Camel (=’’chameau’’) fera partie des choses dont je serai le plus nostalgique ;
en tournant à une intersection dans le centre-ville, te retrouver brusquement face à la falaise verticale de la Table qui bloque l’horizon et se dresse majestueusement au-dessus de la ville ;
observer, fascinée, les nuages dévaler du sommet de la Table le long de la paroi verticale, telle une avalanches aérienne de nuage
où que tu sois sur la péninsule, profiter de la vue sur la mer et la montagne en toile de fond, les reflets du soleil brut dans l’eau, les couleurs dorées du coucher du soleil
Et puis il y a toutes ces choses qu'il va me falloir complétement réapprendre à faire une fois rentrée en France :
m'arrêter au stop en voiture ;
ne plus voir des gros 4x4 et des pick-ups à tous les coins de rue ;
m’exprimer en français toute la journée, sans calques et fautes d’orthographe français ;
ne plus pouvoir sortir dîner au restaurant pour un oui ou pour un non et ne plus se poser trop de questions sur l’addition ;
réintégrer qu’un verre de vin en France ne contient pas un tiers d’une bouteille ;
réapprendre à conduire à droite, cette drôle de pratique européenne ;
ne plus voir le soleil pendant les mois d’hiver français ;
me réhabituer à planifier toute ma vie dans un agenda 3 semaines à l'avance ;
réapprendre qu’il est tout à fait normal, et non dangereux, de marcher dans la rue sur plus de 150m ;
reremplir mes placards de pulls et d’écharpes : le choc va être d’autant plus brutal à mon arrivée que je n’ai plus que des t-shirts et des débardeurs – vive la razzia de shopping !
Bref, j'ai vécu deux ans en Afrique du Sud.
A bientôt en France !