En France, affirmer son appartenance à une religion est généralement un sujet relativement tabou. Tout au moins, on n'en parle pas au travail, cela ne regarde que la sphère privée. Comme j'ai grandi avec ce contexte typiquement français laïc à l’extrême, voire souvent anti-clérical, le naturel avec lequel les Sud-Africains évoquent leur religion m'a toujours déconcertée.
En Afrique du Sud, il est tout à fait normal de dire à ses collègues : ''oh ce jour-là je ne peux pas, je vais à l'église/au temple/à la mosquée''. Ou bien de dire ''ce soir je vais à une soirée avec ma paroisse''. C'est complètement ordinaire et personne n'en sera mal à l'aise.
Cela m'arrive régulièrement en entretien que des candidats me fassent des phrases du style ''je remercie Dieu tous les jours de m'avoir permis de faire telle chose ou telle chose''. Dans leurs discours, les hommes politiques font ouvertement référence à Dieu. Dans n'importe quelle chambre d'hôtel ou chambre d'hôte, il y a systématiquement une bible à disposition. A l'usine, les Musulmans partent deux heures le vendredi à l'heure du déjeuner pour aller à la mosquée, c'est complètement normal et accepté: le planning de production prend en compte cette baisse temporaire d'effectifs pendant quelques heures.
Ce rapport complètement décomplexé à la pratique religieuse puise probablement ses racines dans l'histoire du pays. Lorsque les Hollandais débarquèrent au Cap au XVIIè siècle, ils étaient tout plein de la verve protestante de l'époque. Une fois arrivés au Cap, point de vilains Catholiques avec lesquels s'étriper. Ils pouvaient répandre leur idées comme bon leur semblait et convertir les populations locales. Les premiers colons hollandais se considéraient vraiment comme investis d'une mission divine. Ils voyaient des signes de Dieu partout. Le flanc ouest de la Table Mountain à Cape Town s'appelle ''Les Douze Apôtres'', car différents petits morceaux de montagne sont alignés, et qu'à leur arrivée dans la baie, les Hollandais y ont immédiatement vu une référence aux Evangiles et un signe évident que leur installation au Cap était bénie par Dieu.
La désertification religieuse que l'on observe en France aujourd'hui n'a pas court en Afrique du Sud. Au contraire, ici, cela choque les gens si vous leur dites que vous ne croyez en rien ou n'êtes d'aucune religion. Il est inconcevable pour nombre d'entre eux de ne croire en rien. En fin de compte, cette décomplexion de la religion est vraiment bien agréable à vivre au quotidien. Si seulement l'anti-cléricalisme français pouvait en prendre de la graine!